Sarkozy, Homme d’Etat ?

Réflexions sur l’adoption du Traité de Lisbonne

au regard des élections européennes de 2014

Cyril CASTRO, Président d’EUROPE POPULAIRE

31 mai 2014

Pour bien comprendre la position qui est développée dans cette tribune libre, à total contre-courant de « la nouvelle pensée unique », il est important de rappeler brièvement 3 orientations essentielles.

Tout d’abord, je précise que je suis un Européen convaincu, non par la tournure que l’Union Européenne a pris ces dernières années, mais par la portée du projet et de la réalité européens : Structurer de manière volontaire – sans violence – un continent, et renoncer pour l’intérêt général, à certaines de ses prérogatives, sont des événements majeurs dans l’histoire de l’humanité et la grande aventure de la 2è partie du XXè siècle, au même titre que la décolonisation. Je ne suis pas un euro-béat, ni un euro-sceptique mais ouvertement un euro-critique.

Ensuite il est à rappeler que, compte tenu de son caractère très constitutionnel, qui allait « figer dans le marbre » les traités passés et mettre ainsi l’Europe à la merci de vétos britanniques, j’ai voté NON au referendum de 2005.

Enfin il convient de souligner que ma déception de la classe politique de gauche, de droite et du centre, et mon rejet de l’extrêmisme – clivage et ravage des Peuples – m’ont amené – car les institutions françaises sont ainsi faites – à créer, avec d’autres, un Mouvement de la Société civique, humaniste et européen, un Parti « de l’Avant » : EUROPE POPULAIRE.

Mon propos suivant, ainsi éclairé car il est véritablement important de savoir d’où on parle – surtout avec des positions originales – met en lumière et combat une des raisons de fond qui ont conduit les partis profondément « anti-Europe » à avoir tant de résonance dans l’opinion et les media, à savoir le « contournement » du NON français de 2005 par l’adoption du traité de Lisbonne.

Ainsi on n’écouterait pas le Peuple et on ferait fi de son avis, voire de sa décision. Et c’est ainsi que Nicolas SARKOZY, auteur de cette forfaiture, est-il continuellement mis au pilori sur ce point. Le noniste que je suis, aurait dû sur lui aboyer avec la meute… Oui mais voilà…

En effet, en 2005, malgré un parti-pris médiatique évident, les Français rejetaient par un referendum décidé par le Président CHIRAC, à 55 %, le traité de la Constitution européenne, mise au point avec brio et ascendance reconnus par l’ancien Président français Valéry GISCARD d’ESTAING et sa respectable Convention.

3 ans plus tard, le traité de Lisbonne, qui reprend pratiquement 2 des 3 parties contenues dans le traité constitutionnel, devait se faire accepter par la France. Et Nicolas SARKOZY devenu Président de la République, le fit adopter par la voie parlementaire, en congrès, ne se risquant pas, ni par timing, ni par incertitude du résultat, à redonner directement la parole directement au Peuple, qui avait déjoué les pronostics en 2005.

Or ne doit-on pas considérer naturel de refaire par le Peuple ce qui a été défait par le Peuple ; autrement exprimé, le traité de Lisbonne, qui reprenait long de celui rejeté par les Français, ne devait-il pas être ratifié par un nouveau referendum ?

Et c’est justement là que je salue le courage de Nicolas SARKOZY, qui a agi alors en véritable Homme d’Etat.

En effet, selon toutes les analyses, et l’histoire le soulignera aussi, Laurent FABIUS a été la caution morale du NON de 2005, par sa stature, son passé de Premier ministre moderne du plus europhile de nos Présidents, François MITTERRAND, ses anciennes fonctions de ministre des Finances efficace, en charge du passage à l’euro, symbole fort.

Laurent FABIUS, pour des raisons que beaucoup ont voulu voir politiciennes, voire de basse politique, avait indiqué très tôt son inclinaison pour le NON. Pour Laurent FABIUS, que l’on retrouve depuis 2 ans au Quai d’Orsay, c’est-à-dire en lien constant avec l’Europe, il s’agissait de dire OUI aux 2 premières parties du traité, parties techniques et avancées certaines, mais NON à la constitutionnalisation des traités antérieurs. Habillage habile pour se démarquer au sein d’un PS qui allait encore servir d’appui ou d’appoint à CHIRAC – après 2002 – et de démonter qu’on pouvait être pour l’Europe comme l’exigeait à l’époque toute ambition présidentielle, et alimenter une pensée simple, plus proche des intérêts des Peuples, peu associés à la mainmise d’une euro-technostructure.

Après un court moment de débat que les femmes et les hommes politiques dominant du moment avaient voulu expédier, avec la complicité des médias, acquis à 95 % au OUI et de tous les milieux d’affaires, certains dans des associations, puis des syndicalistes, puis enfin quelques politiques redonnèrent un nouvel éclairage sur le traité. Des voix jusqu’alors pro-Europe émirent des doutes. FABIUS lui-même reprit une liberté que ne lui refusait pas son Premier secrétaire d’alors. Et enfin le Peuple s’empara du dossier, écoutant, lisant, questionnant, se répondant, dans les amphis, les cafés, les salles communales. Ce fut le plus grand moment de démocratie depuis l’alternance de 1981. Les Français allaient s’exprimer de manière plus éclairée et plus autonomes vis-à-vis des clivages traditionnels que ne l’avaient calculé la classe politique.

Sur les 55 % de nonistes, dont plus de 60 % de socialistes, alors que, pour éclaircir leur position, leur Premier secrétaire en 2005, François HOLLANDE, avait accepté une consultation interne des militants, qui penchaient encore pour le OUI, on peut considérer que 15 % avaient suivi le NON fabiusien, nuancé et calculé. Donc sans le poids de FABIUS, plus parce qu’il avait légitimé la parole noniste non extrême, à laquelle tous se sont référée, de VILLIERS à MELENCHON, que par ses arguments propres, le OUI l’aurait emporté finalement.

FABIUS avançait le NON contre la 3è partie du traité, celle qui constitutionalisait les traités précédents. Sans cela, il déclarait dès 2004 qu’il aurait voté et appelé à voter pour le OUI, faisant basculer la campagne et les résultats.

Or le traité de Lisbonne, en 2008, dont le nouveau Président Nicolas SARKOZY avait la charge de faire adopter, est proche du traité rejeté certes, mais ne comporte pas cette fameuse 3è partie, qui a alimenté une grande partie du NON. Donc on ne peut pas dire que le soumettre à l’approbation des Parlementaires effacerait le vote des Français puisque le vote ne portait précisément pas sur le même traité donc pas sur la même question.

Certes, il aurait été préférable dans le principe d’organiser un referendum nouveau (et non pas un nouveau referendum puisque la question était différente). Mais au fond pourquoi et pour quelle issue ?

Le referendum de 2005 était important et Jacques CHIRAC avait eu raison de choisir ce mode d’approbation – ou en l’occurrence de désapprobation. En effet, comme son nom et son contenu l’indiquaient, il s’agissait bel et bien d’un traité constitutionnel, d’une nouvelle constitution, avec des portées aussi conséquentes que Maastricht en 1992, soumis par le Président MITTERRAND, pourtant impopulaire à l’époque, au vote du Peuple. Dans ce cas, la voie directe du Peuple de France doit être consultée.

Or le traité de Lisbonne, vidé de sa juridiction constitutionnelle, devenait un simple traité « comme les autres ».

De plus, le traité de Lisbonne comportait 3 vertus fondamentales, qui auraient dû convaincre assurément beaucoup de nonistes.

1)      Lisbonne empêchait la mise en œuvre du funeste traité de Nice, mini-compromis au rabais, mal préparé et insuffisamment négocié a minima par Jacques CHIRAC et Lionel JOSPIN, qui se neutralisaient, se « tenaient par la barbichette » dans la perspective des élections de 2002, sous le regard amusé d’un Gerhard SCHROEDER qui était rivé sur la refonte de l’économie allemande (qui allait faire que depuis 2004 l’Allemagne soit redevenue le centre économique puis politique du continent), et la stupéfaction complice et ahurie du reste de l’Europe élargie.

2)      Lisbonne portait un meilleur équilibre des institutions quant à la représentativité de chacun et quant aux prérogatives renforcées du Parlement européen élu pour 2014. On le verra lors de la prochaine désignation du Président de la commission qui succèdera à Jose BARROSO.

3)      Lisbonne permettait enfin une large souplesse dans l’interprétation des traités, ce qui a permis en 2012 et 2013 de mettre en place des mécanismes monétaires et financiers à traités constants, pour commencer à sortir de la crise, alors que les dirigeants européens ont perdu du temps en défiance à laisser enfin ces solutions prendre formes.

Il était donc sage de faire adopter rapidement ce traité de Lisbonne. Dans les conditions de l’époque, seule la voie du congrès s’imposait à Nicolas SARKOZY, un nouveau NON référendaire risquait de nous amener à être régis par le traité de Nice, dans une campagne cette fois bâclée par manque de temps, en plein début de crise de l’Europe, de l’Euro, des surprimes, et des déprimes, en pleine guerre en Géorgie, et en total patinage du G20.

Le courage de Nicolas SARKOZY fut alors de garder son sang-froid, de penser à la France et à l’Europe, et d’accepter de ne pas regretter ce qui s’imposait à lui, c’est-à-dire le vote par le Parlement, légitime mais en représentation indirecte, même si en fin politique il savait que cela lui serait longtemps reproché.

Il est aussi à noter que durant la campagne présidentielle de 2007, SARKOZY candidat, n’a pas hésité à prévenir de son choix futur et sa position sur ce qui s’esquissait devenir ce traité était claire. L’élection présidentielle, notamment dans un quinquennat, ne vaut-elle pas referendum ? N’est-il pas plus convenable de présenter un projet et de le faire appliquer ensuite par tous les moyens légaux, que de déclarer que « Soi, Président », on renégociera tel ou tel traité, et une fois élu, signer ce traité sans une virgule changée ? N’est-ce pas sur ce terrain que la voie parlementaire, légale, s’en trouve moins légitime ?

SARKOZY a agi dans cette affaire, je le répète, en Homme d’Etat, loin de la lâcheté et en pleine conscience, ce que peu de ses propres troupes défendent encore aujourd’hui sur ce point.

Non, il ne s’agissait pas alors de prendre les Français à contre pieds, mais sincèrement de remettre l’Europe sur des rails sains, en laissant hors constitution un certain nombre de disposition prévues en 2005, donc en laissant la France libre de choisir son destin futur, sans les entraves que comportaient la Constitution GISCARD.

Or c’est par un manque de courage, un manque d’envergure – ou simplement par calcul – des politiciens de droite et du centre, qui n’ont pas pris depuis la défense vigoureuse du choix sarkozien, pas repris clairement à leur compte l’explication institutionnelle et pragmatique nécessaire, que se maintient l’idée que le choix du Peuple français de 2005 a été bafoué par un despote autoritaire et imbu qui s’essuya les pieds par pur caprice sur la voie de ses Compatriotes… Et qui a abouti en 2014 à mener une campagne par pratiquement tous les partis sur le thème, l’ « Europe qu’on nous impose s’est toujours faite sans nous (ce qui fut d’ailleurs souvent le cas mais réellement moins depuis le vote sur Maastricht), elle continuera sans nous et en tout cas plus contre nous » ! Quel ressentiment ce manque de responsabilité de beaucoup a laissé comme trace sur une opinion légitime !

Femmes et Hommes de France, écrivains, philosophes, syndicalistes, entrepreneurs, enseignants, ouvriers, chômeurs, parents, grands-parents, responsables associatifs, commerçants, cadres, employés agriculteurs, attention à ce clivage que l’on veut dresser entre vous. Oui vous devez être écoutés, obéis même, mais ne vous laissez pas croire que votre vote a été foulé aux pieds en 2008. Car attention, d’abord c’est faux et cela nous perdra. Car cela aboutira à creuser définitivement le fossé entre nous et l’Europe juste et protectrice dont une France renouvelée et industrieuse a grandement besoin ; car cela accentuera aussi la méfiance d’une classe politique sclérosée qui se doit de retrouver le Peuple et doit recommencer à faire appel à son bon sens pour des échéances futures dont l’issue devra être impérativement décidée directement par les Français ; car enfin la France s’en sortira si elle est unie, loin des extrêmes de tous poils, qui la bercent d’illusions et ne sont ni à la hauteur de ce qu’ils prétendent être, ni à la hauteur des intérêts de notre cher Pays.

A travers les acteurs de ce débat, qui couvre nos 40 dernières années, on mesure ô combien l’histoire de l’Europe s’écrit à l’encre de l’histoire de France. Souhaitons, à nous et à nos enfants, que ce sera encore le cas dans 20 ans, et pour le meilleur de tous.